Évaluation du travail des députés : vers une information “alternative” ?

La société Rectech, missionnée après un appel d’offres par l’Assemblée nationale, vient de proposer 23 pistes pour la création d’un nouvel “outil” destiné à rendre compte du travail des députés. Dans le viseur, le site “nosdeputes.fr ».

Quelle mouche a bien pu piquer les députés pour qu’ils envisagent de créer leur propre outil de mesure de leur travail ? A n’en pas douter, c’est le site nosdeputes.fr qui, semble-t-il, a mis leurs nerfs à rude épreuve, un ténor de la majorité allant jusqu’à parler de “tyrannie” (source AFP) de cet “observatoire citoyen de l’activité parlementaire” ou dénonçant une “surproduction” d’amendements pour grimper dans le palmarès. Serait-ce à dire qu’ils ne goûtent guère ce qui, bien loin d’être une compétition entre députés, relève plutôt d’un recensement des activités parlementaires ? En effet que trouve-t-on sur ce site si décrié par ceux qui y sont observés ? Présences en commissions, participation en hémicycle au cours des douze derniers mois, détail des responsabilités parlementaires et extra-parlementaires, coordonnées, derniers rapports produits, questions au Gouvernement, dernières questions écrites, travaux législatifs, propositions de loi déposées, amendements déposés…, le tout collecté à partir de données de l’Assemblée nationale et du Journal officiel. Autant de points intéressants pour les citoyens qui veulent suivre le travail des députés de leurs territoires, hors de leur circonscription.
Mais alors, qu’est ce qui peut bien paraître suspect aux yeux des parlementaires ? Les graphiques qui, d’un seul coup d’œil, permettent de visualiser ce travail, comme on peut le voir ci-dessous ?

Que les médias utilisent ces données pour illustrer leurs articles ? Selon l’AFP, l’ire des élus aurait poussé certains d’entre eux à demander à Regards Citoyens qui anime le site “nosdeputes.fr” “de faire cesser la publication d’indicateurs utilisés par les médias pour ces classements”.

Une autre méthode de relevé du travail parlementaire

Alors qu’il était président de l’Assemblée nationale, François de Rugy critiquait déjà des “classements aussi réducteurs que simplistes” et avait demandé un travail transpartisan sur le sujet estimant que “la complexité et la diversité des activités de chaque député ne sauraient être reflétées ni résumées dans des chiffres”. Balle reprise au bon par le nouveau titulaire du perchoir, Richard Ferrand et les trois questeurs de l’Assemblée nationale qui ont chargé la société Rectech, sélectionnée sur appel d’offres, de réfléchir à un nouveau référentiel d’activité. Les enseignants-chercheurs (Abel François et Olivier Rozenberg) qui ont planché sur le sujet ont donc présenté leurs préconisations le 26 juin devant le Bureau de l’Assemblée nationale, la plus haute instance collégiale.
Estimant dans leur rapport qu’ “il apparaît à tout connaisseur de l’activité parlementaire que les données quantitatives utilisées [sur nosdeputes.fr] laissent de côté des pans importants, au Palais Bourbon comme en circonscription” (source AFP), les deux enseignants-chercheurs suggèrent une autre méthode. Ils proposent ainsi la mise en place d’un relevé de présence au Parlement lorsque l’Assemblée siège, une amélioration de relevé en commission et un relevé systématique lors des déplacement officiels.
Par ailleurs, ils proposent l’institution d’un agenda public co-produit, individuel et rétrospectif qui serait rempli “de façon obligatoire et automatique par les services de l’Assemblée nationale” sur la présence, et “de façon facultative par le député s’agissant des autres activités, en circonscription notamment”.

Gare aux egos !

Parmi les autres propositions révélées par l’AFP, les Abel François et Olivier Rozenberg préconisent l’élaboration, pour chaque député, d’une fiche comportant une rubrique statistique où les données seraient contextualisées, notamment pour une comparaison avec la moyenne de son groupe politique et avec la moyenne de sa commission d’appartenance. Pour eux, un “indice” d’intervention en séance établi “selon le nombre de caractères des mots prononcés” devrait également être créé et une “meilleure pédagogie de l’activité parlementaire” mise en place et, à plus long terme, l’organisation de “rencontres de la donnée parlementaire”.
Après discussion au sein des groupes politiques, des décisions pourraient être prises à la rentrée, après étude technique et financière. De son côté, le collectif Regards citoyens, qui attend des actes concrets, se dit plutôt favorable aux idées avancées, mais à condition que les pages des députés ne deviennent par un “organe de diffusion d’egos politiques”.
Lorsque le “nouvel outil” créé par l’Assemblée nationale sera en ligne, citoyens et médias disposeront donc de deux sources complémentaires et rien ne les empêchera de comparer les données avec celles de nosdeputes.fr et, peut-être, de nouvelles questions se feront jour. Qui sait ?
En attendant le rapport présenté par les deux chercheurs n’est toujours pas accessible sur le site de l’Assemblée nationale. Dommage.

© Twilight-Flickr

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